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Le commentaire
d'Emmanuel Kraf
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Celle-là c’est celle de Lucio, Lucio Rinaldi, le grand-père. Pas japonaise, chinoise, mais sans doute ne l’a-t-il pas su. Par contre, ce qu’il a su, c’est comment il l’a obtenue, une toute autre histoire.

C’est lui, là, dans l’atelier de Baronnat. Il n’est pas là comme élève, la peinture l’ennuie, il attend Eva Cinberg. Un modèle qui faisait le tour des ateliers et qui sera le sien pour ses débuts photographiques.

Ils s’installent avenue Trudaine, ont des projets de studio qui restent vagues. Eva, enceinte, ne veut plus poser, l’argent manque. Rinaldi propose alors ses photos à la presse, on l’envoie faire des reportages, surtout méditerranéens.

C’est comme ça qu’il se retrouve à suivre les expéditions d’Ansenat, comme ici au Liban, où l’archéologue lui aurait donné sa nuélithe. Nulle trace dans les écrits de ce dernier. Le “Roman invisible” donne à demi-mot une autre hypothèse : un vol pur et simple.

Mais passons, il y a plus grave : la guerre.
Rinaldi est mobilisé. Pas longtemps : un éclat d’obus quelque part dans les Ardennes, une chance peut-être, le voilà démobilisé. C’est Eva qui assure, installe le convalescent et les enfants sur la côte normande, dans une maison familiale qui va se transformer en bric-à-brac.

Après la guerre, Dario, l’aîné, se lance à son tour dans la photo. Il monte un studio, enfin une petite entreprise, qui le restera, volontairement. Dario veut rester dans le léger, et c’est ce qui convient à l’époque. Il se débrouille plutôt bien, ses photos plaisent aux touristes huppés du coin. Lui aussi plaît, surtout à Hélène. Hélène Materye, une héritière, pas vraiment riche, mais quand même. La future mère de Santo.

Santo et sa sœur sont élevés dans cette ambiance, une enfance qu’on pourrait dire privilégiée si on s’en tient à ce que racontent les photos. Mais les photos ne disent pas tout, surtout celles des albums de famille qui ne gardent évidemment que le meilleur, les moments choisis, triés. Le pire se lit en creux, comme ici dans la disparition sur les clichés des visages d’Eva et d’Hélène.

Une guerre encore.
Santo et sa sœur sont envoyés aux Etats-Unis. À New York, où ils sont accueillis par RT, qu’on retrouvera plus tard, dans le réseau açorien des nuélithes. Un autre monde, plus grand, plus brillant, plus tout. Dans les mauvaises nouvelles, une bonne enfin : la guerre est finie.

On retrouve Paris, la famille. Santo s’installe dans le quartier latin, entreprend de vagues études, fait des photos, évidemment, pour gagner sa vie.

Bref, il se disperse, reste fauché, mais la vie est belle. Et puis il y a ce voyage à Lisbonne, où RT l’invite à le rejoindre. Il y rencontre Soledad. Tous embarquent pour Faial, avec comme but cette ascension du Pico où, soi-disant, ils auraient découvert une nuélithe.
On en doute, comme toutes les histoires qui tournent autour de ces pierres. Reste que ce voyage marque le début de sa collection, puisque qu’avec celle du grand-père, voilà Rinaldi en possession de deux nuélithes.

Suit un bref intermède où il se lance dans les affaires. Il s’associe à un labo genevois qui prétend développer un nouveau procédé couleur. Il est chargé des essais.

C’est un fiasco financier évidemment, technique aussi et il reviendra définitivement au noir et blanc. Mais ça lui permet de voyager et il en profite pour continuer ses recherches de pierres, et pour ça se constituer un réseau d’informateurs. Ou d’informatrices, comme Ana Simolni. Ana est la petite fille de Simolni, le collègue d’Ansenat : le monde est vraiment petit. Ensemble et en quelques années ils vont trouver une vingtaine de pierres.

Mais tout lasse. Rinaldi veut clore la collection. Il l’expose une première et dernière fois à Londres, pensant en avoir fini avec ces cailloux. Mais pas du tout, puisque là se trouve Die Sterry, qui vient de publier une étude renversante sur les nuélithes.

En gros, elle y expose une théorie sur la possible interaction des pierres entre elles : elles fonctionneraient par paire et constitueraient une sorte de dialogue dans le temps et l’espace. Évidemment ça interpelle Rinaldi. Sans doute pas que la théorie. Reste à vérifier.

Et c’est reparti, sur cette base bigrement efficace. Die Sterry et Rinaldi vont effectivement en trouver d’autres, et vite. Un peu trop même, les histoires s’embrouillent, la leur aussi. Les pierres trouvées disparaissent aussitôt, ou sont oubliées, comme par hasard.

Certaines réapparaissent aujourd’hui, par hasard aussi, soi-disant. Quand même : cette histoire de dialogue s’avère pertinente, et donc la première, celle du grand-père, doit avoir son pendant quelque part.

Dans les archives de Lucio, quelques tirages, classés à part, concernaient un voyage au Japon. Certains étaient même en couleurs, mais ni datés, ni situés, et sans trace dans la mémoire familiale. C’étaient surtout des paysages, avec quelques éléments architecturaux, des détails suffisants pour que, sur place, Rinaldi retrouve l’endroit où était passé son grand-père. Même dans le dédale des archipels nippons, même avec les changements inévitables que provoque le temps.

Le plus étrange pour lui n’est pas de retrouver là, à l’autre bout du monde, une image de son grand-père, ça il s’y attendait presque. Un peu vexé, certes, qu’elle soit en couleur. Non, le plus troublant c’est de la retrouver au milieu d’un autre album, l’album d’une autre famille, qui raconte comme une histoire parallèle à la sienne, extraordinairement semblable. Comme si on avait pris les mêmes poses, au même moment, pour interpréter un scénario commun.

Ne manquerait que sa photo à lui, avec cette pierre que lui montre Nao.


Emmanuel Kraft / Montreuil 2008




Le commentaire
de Nao Kimura


Le grand-père en possédait une. Une très belle même. Lucio Rinaldi. Il aurait voulu être peintre et pour cela fréquentait les ateliers d’artistes. En fait, il fréquentait surtout un modèle, Mlle Cinberg, qu’il finira par épouser.

Il monte un studio, rue Lafayette, qui marche modestement. La mode est à l’orientalisme, alors Rinaldi se lance dans des reportages exotiques. Sans aller très loin, plutôt autour de la Méditerranée.

Au Liban, il suit les fouilles d’Ansenat et reste un mois sur le site du Tell Ma Choûq où il devient en quelque sorte le photographe officiel, C’est là qu’apparaît la nuélithe. Ansenat est furieux : une pierre extrême-orientale, là, fiche en l’air toute la belle cohérence du pur néo-assyrien. Alors cette pierre, ce caillou, non. Il est de trop. Beau, d’accord, mais trop beau.
Et c’est comme ça que Lucio Rinaldi le récupère, parce qu’Ansenat, lui, ne veut pas en entendre parler.


Vient la guerre. Rinaldi, blessé, revient rapidement du front, mais reste convalescent et le studio parisien périclite définitivement.

Entre-temps, deux enfants sont nés, Dario et Elena. Toute la famille se replie sur la Normandie. À Deauville Rinaldi revend ce qu’il possède : ses photos, des objets de voyages. Et puis il rachète aussi. Bref devient petit à petit une sorte d’antiquaire, ou de marchand d’art.

Dario, l’aîné, remonte le studio Rinaldi dans les années 20. Il commence modestement, mais ça marche. Les thèmes sont tout trouvés, l’époque est légère, aérienne même. Elena s’occupe des relations, trouve les modèles, Dario va en photographier un plus particulièrement, Lili, Hélène Materye. Qui deviendra la mère de Santo.

Voilà Santo. Une enfance heureuse. Provinciale, tranquille. Presque chic. En hiver, on va sur la côte, celle du sud. Tout va bien, ou alors on fait comme si.

Et puis à nouveau, c’est la guerre.
La famille reste dans le sud. Les enfants sont envoyés aux Etats-Unis, chez un ami de la famille, RT. Un homme singulier, inclassable. Un esthète des voyages, mais la période n’est pas au tourisme. Un passionné aussi de mécanique des fluides, de météorologie, tout ce qui touche aux nuages. Qui va beaucoup influencer Santo.

La guerre finie, Santo revient en France, à Paris. Pour finir ses études. Des études d’ingénieur chimiste, qui traînent un peu. Pas mal même. Il fait aussi des photos, des photos de commande sous différents pseudonymes, mais là encore, il s’éparpille.

Du grand-père décédé lui revient en héritage la nuélithe, et un peu d’argent. Juste de quoi rejoindre RT à Lisbonne. RT et cette fille, Luselad je crois. Ensembles ils montent une expédition aux Açores, escaladent le Pico et trouvent la nuélithe blanche.

Le voilà donc en possession d’une autre nuélithe. Deux, ça fait une collection, ou le début d’une. Dans les vingt ans qui suivent, il va en trouver vingt autres. Pour financer ses recherches, il entre en contact avec un laboratoire de Genève, le Laboratoire Kroll. Il y fait des essais pour un nouveau procédé couleur qui sera jamais commercialisé. Un échec.

Mais c’est là qu’il rencontre Ana Simolni. C’est elle, là. Qui se trouve être la petite fille de Silmoni, l’autre archéologue, le concurrent d’Ansenat, qui lui aussi, un siècle plus tôt, se débarrassait des nuélithes. Elle a des sources, des infos, des connexions, ensembles ils trouveront la nuélithe de l’Upim, à Palerme.

Ils en trouveront d’autres, un peu partout. Dans des musées ou aux puces, au bout du monde ou au coin de la rue. Les découvertes sont à la fois logiques et surprenantes.

Dans cette complexité, Rinaldi, soupçonne une sorte de fatalité. Il est pris dans un réseau sans logique temporelle, mais où tout s’imbrique, et où il peut lui-même intervenir. D’ailleurs certaines pierres de la collection seraient des faux, mais ceci ne remet pas en cause l’efficacité du rebondissement de pierre en pierre.

Ainsi les nuélithes s’inscrivent dans le monde, très bien même. Il y a leur beauté solitaire, leur fuite éternelle, leur contretemps ambigus. Mais les histoires qu’elles sous-tendent ne sont pas toutes légères, loin de là.

Il y a leur beauté solitaire, leur fuite éternelle, leur contretemps ambigus.
Après la nuélithe de Serrecourt, Santo décide de clore la collection et l’expose à Londres.
Die Sterry est là, évidemment. Elle vient de publier une étude sur les nuélithes. Une somme, avec une interprétation très personnelle : les cailloux seraient des bribes de conversation.

Elle parvient à le convaincre de poursuivre ses recherches. Et effectivement ils vont découvrir d’autres pierres, mais qui resteront hors collection, passées soigneusement sous silence, voire même réensevelies. Comme celles de Ré ou de Cordon réapparues récemment.

Mais tout cela confirme la théorie de Sterry : chaque nuélithe a son équivalent, sa réponse en quelque sorte, elles marchent en duo. Sauf pour une, la première, la nuélithe japonaise, celle du grand-père, celle d’Ansenat. Ce sera la dernière recherche de Santo, la plus déroutante aussi, puisqu’il s’y trouve impliqué.

Chez les Rinaldi on savait que Lucio était allé au Japon. Il en avait ramené quelques clichés, des photos de paysages, mais tout manquait de précisions, comme volontairement voilé. Santo retrouve quand même l’endroit, l’archipel dans l’archipel, notre petite île, chez nous.

Chez nous, où plus d’un siècle auparavant étaient passés deux Français, des photographes. L’un d’eux faisait même ses photos en couleurs. Si, si. Gabriel Veyre. D’ailleurs je pense que c’est par lui et ses archives que Santo est remonté jusqu’à nous. On le voit sur des tirages dans un album de notre famille. C’est lui qui aurait pris cette photo de ma grand-mère. C’est l’autre qui lui aurait donné cette fameuse pierre.
Là, c’est moi.


Nao Kimura /
Osaka 2008